EDWARD HOPPER AU GRAND PALAIS

Publié le par Entrefilets

Hopper, c’est super !

 

On ne saurait trop recommander à ceux qui en ont la possibilité de se rendre au Grand Palais avant le 28 janvier 2013 pour visiter l’exposition «Edward Hopper». Il y a trop de monde, bien entendu, mais l’installation est bien faite et ça vaut la peine.

 

Mais comment expliquer le plaisir, pour ne pas dire la jubilation, que l’on éprouve devant les toiles de Hopper?

 

Je laisse aux spécialistes les commentaires savants sur l’inventeur de la peinture américaine, la richesse de sa palette, la grâce de sa lumière et de ses compositions, le mélange savant de réalisme et d’étrangeté et le classicisme réclamé ; je veux seulement dire ma surprise et mon ravissement.

 

Voir la galerie ICI.

 

Sea at OgunquitA première vue et vu d’Europe, Hopper peint l’Amérique de façon saisissante et très pittoresque ; plus précisément, il peint les Etats Unis urbains et humains. Il nous montre l’architecture et les hommes du Nouveau Monde et si la nature y figure, elle est (à de rares exceptions difficiles à intégrer dans l’oeuvre autrement que comme des études : «Sea at Ogunquit») habitée et construite par des personnages - hommes ou femmes - renfermés sur eux-mêmes.

 

C’est une peinture qui ne fait pas de bruit ; stupéfiante et stupéfaite. C’est un peu comme si Hopper portait sur son pays le regard incompréhensif du Pierrot mutique attablé dans le bistrot parisien que représente «Soir Bleu». Ce Pierrot, peint à son image, qui voit mais semble ne pas entendre ni ne comprendre vraiment ce qui se passe autour de lui.


 Soir bleu


Avant d’aller voir l’exposition, je recommande une balade en métro aérien à l’heure où les immeubles s’illuminent  et jettent aux visages des métropolitains des intérieurs de bureaux ou d’appartements où la vie se met soudain en vitrine sans faire de bruit.

 

Et avant de prendre le métro, je vous suggère de méditer cette petite phrase écrite par Michel C. Thomas que l’on peut trouver à la page 96 du Hors Série «Edward Hopper» de Télérama et que je trouve totalement pertinente :

 

«C’est une grande tentation de savoir ce qui se trouve dans les têtes. Hopper est un gentleman, il résiste à la tentation.»

 

Cela vous évitera de prêter abusivement aux personnages que Hopper nimbe d’une lumière artificielle - car s’il est indubitablement un peintre de la lumière ou plutôt des lumières ; c’est surtout celle, artificielle et humaine, qui le fascine - cela vous évitera dis-je de leur prêter des pensées ou des histoires que Hopper n’a pu vouloir représenter car il n’a pas chercher à les deviner.


 gas


Pour moi, tout Hopper est dans cette façon de regarder d’un oeil, sans être vu, un peu comme un voyeur à travers le trou d’une serrure ou comme un photographe volant des clichés à la volée,  pour restituer avec un réalisme que je qualifierais volontiers de «diminué», par opposition avec la réalité augmentée dont on nous gargarise aujourd’hui, un monde où tous les possibles sont en puissance, un monde vu plus que connu qui nous saute aux yeux dans un silence éblouissant et se prête à toutes les interprétations. Un monde et non pas un univers car totalement humain et urbain même lorsque la nature s’y laisse apercevoir ( «Gas»...) ou se trouve, invisiblement, au coeur du sujet («People in the sun»).


People in the sun


 

Hopper est un peintre sans idées, un peintre tout aussi radical que ses confrères européens de la même époque, mais différemment. Comme les impressionnistes il peint ce qu’il voit, mais lui se tient à la surface des choses, et comme les cubistes il reconstruit l’espace, mais en utilisant la perspective tout en la contournant, sans chercher à intellectualiser quoi que ce soit. 

 

Le plus remarquable c’est qu’il n’y a pas de profondeur chez Hopper, pas d’au-delà ou d’en-deçà, rien de dissimulé et, finalement, pas de secret. Il n’y a rien d’autre à voir que ce qui est là, devant soi.


 Lee Shore


Regardez comment il peint le ciel, l’eau et l’herbe bien séparés d’un trait net dans «Lee Shore» (Côte sous le vent) !

Bien sûr la maison et les bateaux indiquent une ligne de fuite qui donne de la profondeur au tableau, mais cette perspective est aussitôt démentie par la juxtaposition «rigide» des plans ; la toile revendique la platitude de son support et ne prétend pas nous faire rentrer dans ce qu’elle dépeint. Elle se contente de nous le montrer, de nous le donner à voir. De nous le rendre visible ?

 

C’est comme ces bureaux ou ces appartements que l’on aperçoit la nuit, éclairés de l’intérieur. Ils se montrent, s’exhibent d’une certaine façon et si certaines scènes paraissent très intimes, nous ne les regardons pas - n’oubliez pas que Hopper est un gentleman - nous ne faisons que les voir, parce qu’elles sont là, devant nous, et que nous ne pouvons pas faire autrement. Un peu comme chez Epicure, l’image vient s’imprimer sur notre rétine, à charge pour nous de lui donner un sens si bon nous semble.

 

On s’explique alors l’extraordinaire déballage interprétatif suscité par les tableaux d’Edward Hopper et leur surprenant pouvoir évocateur. Les images de Hopper et plus encore ses figures sont énigmatiques ; elles ne veulent rien nous dire ; elle se contentent de se laisser voir, parfois de façon très indiscrète et toujours de façon un peu indiscrète (voyez les transparences dans le vêtement des dames, les scènes insignifiantes et le mutisme des protagonistes : «Summertime», «Room in New York», «Night windows», «Sunday»).


 

SummertimeSunday


Night windows

 

Toutes les interprétations sont possibles, aucune n’est avérée ; notre imagination bat la campagne, entrevoit mille significations sans pouvoir se fixer sur aucune d’elles, nous sommes ravis, étonnés, stupéfaits et réduits au silence pourtant... 


Cela vous rappelle quelque chose ? Mais oui ! Kant décrivant l’expérience du beau.


Sans extravagance ni exubérance, avec une économie de moyens et un classicisme maitrisé, Hopper nous fait vivre une vraie émotion esthétique.


 Sun in an empty room


De l’étrange et un peu angoissant «Soir Bleu» où Hopper se peint en Pierrot lunaire installé au coeur d’un monde dont il ignore tous les dessous, à  «Sun in an empty room», extraordinaire représentation de l’invisible où manque admirablement l’ombre portée des croisillons de la fenêtre, Hopper a réussi le pari d'ouvrir les yeux des américains et des autres à l’art.

 

Quelques mots enfin sur le dernier tableau de Hopper : «Two comedians» où nous le retrouvons tenant sa femme par la main et saluant le public.


Il est rare que Hopper montre la scène quand il peint une salle de spectacle («Intermission», «New York movie») ; en général il ne représente jamais une représentation et «Girlie show» est l'exception qui confirme la règle puisque dans ce tableau il peint la révélation dans le halo d’un projecteur de ce qu’un gentleman ne devrait pas regarder...Non pas un spectacle, au sens artistique du terme, mais une exhibition qui serait indécente si la femme nue qui traverse la scène ne regardait pas bien au-delà et au-dessus des spectateurs cachés dans la pénombre.

 

girlie-show-1391801

 

Dans «Two comedians» Hopper renverse la perspective ; la scène n’a pas de profondeur et sur le tableau ne figure aucun spectateur. Cette fois-ci, surgissant de l’ombre et non plus éclairé de l’intérieur, Pierrot et sa Colombine, Hopper et Josephine nous regardent, nous saluent, nous disent au-revoir... et je crois que pour la première et la dernière fois Hopper regarde ; il nous regarde et nous laisse, lui qui a passé sa vie à voir et nous apprendre à voir, à d’autres voyages. 

 


Two comedians

 

Chapeau l’artiste et au-revoir !

 


(photographies trouvées sur Internet)

 

 

Publié dans Expos

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article